Daidô Moriyama est l’un des photographes les plus inventifs de sa génération, dont le style si particulier et les sujets si personnels sont reconnaissables entre tous. Influencé entre autres par sa participation au magazine Provoke, mais surtout porté par une vision très subjective, celui qui est souvent comparé à un chien errant (selon sa propre photographie Stray Dog) parcourt les rues du monde entier, capturant des fragments de la réalité moderne. Que ce soit à travers ses photographies noir et blanc, mais aussi couleur, Polaroïd, sérigraphies, ou encore des films ou installations, Moriyama a ainsi immortalisé des dizaines de milliers d’instants, qu’il retravaille et retire ensuite à de multiples reprises, en noir et blanc ou couleur, ou en inversant les sens, jusqu’à en oublier l’original, à l’image de ce fameux chien dont on ne sait plus de quel côté il regarde.
En effet, animé par un regard ironique, il appuie sur le déclencheur a gré de ses désirs, fasciné ou dégoûté, imprimant sur la pellicule une multitude de détails ; chevelures, étals des marchés, vitrines des magasins, portants de ceintures, tableau de bord d’un cockpit, immeubles, posters, magazines, mannequins, mais aussi des images plus lointaines de la ville et de ses lumières, ou encore toutes les machineries du quotidien, train, bateau, ou métro. Sa photographie n’est jamais une photographie journalistique, et ne montre pas d’évènement. Au contraire, c’est par essence une photographie des non-évènements, de fragments du quotidien ; et même lorsque par hasard il imprime sur la pellicule des évènements, ce n’est pas d’un point de vue journalistique, mais intégré à son expérience personnelle, à l’image de ses autres clichés de néons ou de rues vides. Tout ce qu’il photographie, c’est-à-dire tout ce qu’il voit, qui attire son regard dans ses déambulations à travers les villes, tous ces fragments « sont immortalisés seulement comme faisant partie de [sa] propre réalité ».
À travers ces visions très personnelles, le spectateur est confronté à un point de vue novateur sur son environnement quotidien, il est ainsi forcé de remarquer ce que, dans sa vie de tous les jours, il regarde sans voir. Des scènes qui semblent de prime abord dénuées de tout caractère artistique se teintent dans son objectif d’ironie, de beauté, de gravité, voire même d’une certaine dose d’angoisse. L’essence de ce qui est photographié est ainsi remise en question par ces fragments de la réalité coupés de tout contexte. Il considère son travail comme étant non pas celui d’un photographe, mais celui d’une personne lambda traversant la vie, s’adressant au quotidien le plus banal, développant le point de vue d’un passant jetant un simple coup d’œil à la surface de la réalité. « Quand je regarde mes propres photographies disposées devant moi, je réalise que je choisis seulement mes choses favorites ou ce que je déteste le plus comme sujet photographique. Et une fois de plus, je me prends à réfléchir à l’amateur que je suis ». Pour lui, ce statut d’amateur est lié au sujet de ses œuvres, même s’il reconnaît être un professionnel qui produit pour des magazines, à la commande, et est exposé. En effet, dans son idée il reste, malgré tout, un amateur, car il n’enregistre pas d’évènements historiques, de sentiments universels, et reste au contraire un « photographe ultra-personnel ». Ses photographies sont ainsi connectées directement avec ses émotions, et le photographe s’identifie beaucoup à ses sujets. Et l’endroit qui l’inspire le plus, en ce sens, est Shinjuku, quartier mal famé et délicieusement louche, chimérique et labyrinthique dont le magnétisme étrange le happe, seul sujet qu’il ne se lassera pas de photographier. Au sein de cette ville envoûtante, « monstre aux couleurs franches débordant de vie, parcouru de constants soubresauts » il parcourt les rues à l’heure où les ivrognes rentrent chez eux, fasciné par les néons multicolores, par les images érotiques dispersées au gré des ruelles, dans une esthétique du désastre, de l’accident, où la répétition des objets et les détails flous confinent parfois à l’abstraction.
En effet sa technique même participe de cette réputation de chient errant, produisant des images floues, mal centrées, au grain épais et grossier, où les contrastes sont trop extrêmes, les images et négatifs abîmés. Ce style radical renie toute méthode conventionnelle de la photographie, dans un rejet des qualités subtiles de documentation, communication ou reproduction normalement liées à ce médium. Ce discours visuel, cette exploration des limites de la photographie, est une remise en question du médium en lui-même, et de son utilisation conventionnelle, dans la lignée du renouvellement que le magazine Provoke a, pendant deux ans, tenté de faire naître. Éternel flâneur, préférant une humanité de l’instant, il résumera ainsi son œuvre : « mon travail consiste à marcher » dans une accumulation compulsive de clichés, car « il suffit de ne pas s’arrêter de déclencher ».
Daidô Moriyama est né en 1938 à Ikeda, près d’Osaka au Japon. Il s’intéresse d’abord à la peinture, avant de se tourner définitivement vers la photographie en 1959. Il devient vite l’assistant de Eikoh Hosoe, photographe et cinéaste important de l’après-guerre. Moriyama travaille à la fois au Japon et à New York, mais reste fasciné par le Shinjuku, son quartier de prédilection pour témoigner de l’évolution des mœurs dans le Japon de la deuxième moitié du siècle, où toutes les couches de la population se mélangent. Lors de ses déambulations dans ces rues étroites, l’artiste aime à confronter sa mémoire et ses souvenirs de photographies prises aux mêmes endroits, et il parcourt les rues, chassant des images aux contrastes marqués, avec des points de vue originaux se jouant des plans. Récemment, son œuvre a été exposée à la Laurence Miller Gallery (New York, 1993), San Francisco Modern Museum (San Francisco, 1999), Metropolitan Museum (New York 1999), Fotomuseum Winterthur (Switzerland, 2000), Harvard University Art Museum (Massachusets, 2001), Museum of Photographic Arts (San Diego, 2001), Fondation Cartier pour l’Art Contemporain (Paris, 2003), Tokyo Metropolitan Museum of Photography (Tokyo, 2008), Fondazione Cassa di Risparmio di Modena (Italy, 2010).
Son travail a été collectionné par de nombreuses institutions publiques, comme le Museum of Modern Art (New York), San Francisco Museum of Modern Art, Metropolitan Museum of Art (New York), Getty Museum (Los Angeles), Boston Museum of Fine Arts, Centre Pompidou (Paris).
Daido Moriyama is one of the most inventive photographer of his generation, whose peculiar style and very personal subjects are instantly identifiable. Influenced notably by his participation to the magazine “Prokove”, but most of all by his very subjective vision, the photographer –often compared to a stray dog (thanks to his very famous photograph of a stray dog)- roams the streets in the entire world, capturing the fragments of modern reality. Through black and white photography, as well as colour, Polaroid, screen prints, films or installations, Moriyama thus immortalized tens of thousands instants, which he then reworks and reprints several times, in black and white or colour, or reversed, until forgetting the original photograph, just like one cannot remember the original Stray Dog.
Indeed, animated by his ironic gaze, he releases the shutter on the whim of his desires, fascinated or repelled, imprinting on the film a multitude of details; hair, market stalls, shop windows, rack of belts, instrument panel of a cockpit, buildings, posters, magazines, mannequins, as well as farther images of the city and its lights, or everyday machineries, like train, boat or subway. His photography is never a journalistic photography, and never displays events. On the contrary, it is by essence photography of non-events, of fragments of the everyday; and even when by chance he imprints some events on the film it is never from a journalistic viewpoint, but integrated to his personal experience, like his other shots of neon and empty streets. Everything he photographs, that is everything he sees, catching his eye during his wandering through the city, all of these fragments “are captured only as part of [his] own reality”.
Through these very personal viewpoints, the viewer is confronted to a very innovative viewpoint on his daily environment, and he is thus forced to notice what he looks at in his everyday life without really seeing it. Scenes which seem at first devoid of any artistic quality, acquire though his lens irony, beauty, gravity, and even slight anguish. The essence of what is photographed is hence questioned by these fragments of reality cut from their context. He considers his work being not the one of a photographer, but of a person going about his life, addressing the everyday, developing the point of view of a passerby only peeking at the surface of reality.“ When I look at my own photographs displayed in front of me, I realize that I choose only my favorite things or what I most dislike as my photographic subjects. And here again, I get caught up in the thought of what an amateur I am.” For him, this status of amateur is related to the subjects of his works, as he acknowledges being a professional producing for magazines, answering to commissions, and is exhibited. Notwithstanding that he remains in his own mind an amateur, because he doesn’t record historical events, universal feelings, and is defined as an “ultra personal photographer”. His photographs are thus directly connected with his emotions, and the photographer identifies a lot to his subjects. And the place inspiring him the most, in this sense, is Shinjuku, disreputable and delightedly dubious, chimeric and labyrinthine area whose strange magnetism captures him, the only subject he never got tired of. Within this mesmerizing city, “in its primary colours, a living, writhing monster”, he roams the streets when drunkards go back home, fascinated by multicolour neon lights, by erotic images spread amidst the back alleys, in an aesthetic of disaster and accident, where the repetition of objects and blurred details sometimes border to abstraction.
Indeed, even his technique participates to this reputation of stray dog, producing blurred images, unfocused, of coarse grain, over contrasted, and of damaged films and images. This radical style denies any photographic conventional methodology, in a rejection of the subtle qualities usually linked to the medium; documentation, communication, reproduction. This visual discourse, exploration of the limits of photography, is a question of the medium itself, and of his conventional use, in the line of “Provoke” ideas. Eternal flâneur, he sums up his oeuvre like this : “my work consists in walking”, in a compulsive action where “it just needs not to stop releasing the shutter”.
Daidô Moriyama was born in 1938 in Ikeda, near Osaka in Japan. He is first interested in painting, before beginning photography in 1959. He is soon the assistant of Eikoh Hosoe, an important photographer and film-maker of the post-war Japan. Moriyama works in both Japan and New York, but remains fascinated by Shinjuku, his favourite area of Tokyo to testify of the evolution of Japanese identity after the war, and where all the population types mingle. During his wandering throughout the narrow streets, he likes to confront his memory of old photographs taken in the same places, and he chases crude and contrasted images, using original viewpoints, playing with illusion and realness, in a casual aesthetic and decisive vision. Recently his work has been exhibited in Laurence Miller Gallery (New York, 1993), San Francisco Modern Museum (San Francisco, 1999), Metropolitan Museum (New York 1999), Fotomuseum Winterthur (Switzerland, 2000), Harvard University Art Museum (Massachusets, 2001), Museum of Photographic Arts (San Diego, 2001), Fondation Cartier pour l’Art Contemporain (Paris, 2003), Tokyo Metropolitan Museum of Photography (Tokyo, 2008), Fondazione Cassa di Risparmio di Modena (Italy, 2010).
His work has been collected by numerous prominent public and private collections, including the Museum of Modern Art, New York, the San Francisco Museum of Modern Art, the Metropolitan Museum of Art, New York, The Getty Museum, Los Angeles, The Museum of Fine Arts, Boston and The Centre Pompidou, Paris.